De Gaulle était arrivé au pouvoir dix ans auparavant, après l'émeute algéroise du 13 mai 1958 déclenchée par les partisans de l'Algérie française, au terme d'une quinzaine marquée par un véritable chantage à la guerre civile. Les dirigeants des syndicats, dont la CGT, le principal d'entre eux, et des partis de gauche, dont le Parti Communiste Français, avaient dénoncé son « pouvoir monarchiste », mais s'abritaient derrière l'idée qu'on ne pouvait rien faire contre ce « pouvoir fort », pour justifier leur attitude timorée. C'est cette idée-là que les manifestations étudiantes qui se déroulèrent du 3 au 10 mai 1968 firent voler en éclats.
La situation politique à la veille de mai 1968.
Une large fraction de cette jeunesse étudiante s'était
politisée depuis quelques années. Cela avait commencé
avec l'opposition à la guerre d'Algérie. Mais elle ne s'était
pas tournée vers les partis de la gauche traditionnelle. Ni vers
le Parti Socialiste, qui s'était si profondément compromis
dans la répression en Algérie. Ni vers le Parti Communiste
qui, après avoir voté les pouvoirs spéciaux à
Guy Mollet, s'était montré singulièrement passif,
laissant l'UNEF, le principal syndicat étudiant, manifester seule
en octobre 1960 pour le droit à l'indépendance du peuple
algérien.
À la veille de 1968, c'est une autre guerre, celle que l'impérialisme
américain livrait au Vietnam, qui mobilisa une fraction de la jeunesse
universitaire. Et dans ce contexte les groupes révolutionnaires,
ceux que L'Humanité appelait les « gauchistes », se
renforcèrent sensiblement.
L'étincelle : la révolte étudiante.
Au printemps 1968, les facultés furent le théâtre
d'une certaine agitation, en particulier à Nanterre. Les revendications
des étudiants étaient confuses : à celles d'une réforme
de l'enseignement, de la disparition de règlements de caserne régissant
la vie dans les facultés, se mêlait une contestation de la
société.
Suite à la décision du doyen de la faculté de
Nanterre de fermer celle-ci se tint, le 3 mai, un meeting de protestation
à la Sorbonne. La police intervint, investissant la faculté
et embarquant les étudiants rassemblés dans la cour pour
ce meeting. Des manifestations de protestation contre ces arrestations,
des bagarres, éclatèrent alors au Quartier latin. Les affrontements
entre étudiants et forces de police furent très violents.
La Sorbonne fut fermée à son tour. Suite à cela, et
en riposte à des condamnations d'étudiants à des peines
de prison ferme, l'UNEF appela à la grève générale
et illimitée à partir du 6 mai et à une manifestation
ce jour-là devant la Sorbonne.
Durant une semaine, du 6 mai au 10 mai, de grandes manifestations se
déroulèrent à Paris, ainsi que dans nombre de villes
de province, comme Toulouse, Caen ou Strasbourg. Les étudiants ne
manifestaient plus seulement pour leurs revendications, mais pour protester
contre les brutalités policières et obtenir la libération
de leurs camarades emprisonnés.
Aux revendications de la jeunesse étudiante, le pouvoir répondait
par des CRS, des gendarmes mobiles, des matraques et des grenades lacrymogènes.
Mais les étudiants ne se laissaient pas faire. Chaque nouvelle tentative
d'intimidation amenait de nouvelles manifestations.
Au fil des jours, et des manifestations, la population prenait de plus
en plus fait et cause pour ces jeunes étudiants, bientôt rejoints
par les lycéens. La violence de la répression choquait. La
détermination des jeunes manifestants, elle, forçait l'admiration,
en particulier auprès des jeunes travailleurs qui voulaient tout
autant en découdre. C'était en effet la première fois
à Paris depuis bien longtemps que des manifestants tenaient tête
à des policiers qui pour, nombre d'entre eux, avaient été
« formés » durant la période de la guerre d'Algérie.
Le Parti Communiste, lui, ne soutenait pas les manifestants étudiants,
bien au contraire. Il ne cessait de les dénigrer, les accusant d'être
des « fils à papa », attribuant les violences dans les
manifestations à des « provocateurs »... étudiants.
Georges Marchais écrivait, dans L'Humanité du 3 mai, à
propos de ceux qui étaient accusés d'être des meneurs
: « Ces faux révolutionnaires doivent être énergiquement
démasqués car, objectivement, ils servent les intérêts
du pouvoir gaulliste et des grands monopoles capitalistes. » Rien
que cela ! L'Humanité du dimanche 5 mai reproduisait un tract de
l'Union des étudiants communistes, l'UEC, diffusé depuis
deux jours au Quartier latin, qui dénonçait « la responsabilité
du pouvoir et des aventuriers gauchistes. (...) Par leurs mots d'ordre
aventuristes, par leur conception de l'action violente de petit groupe,
ils n'offrent aucune perspective concrète et freinent la mobilisation
massive des étudiants qui, seule, peut faire reculer le pouvoir.
»
Durant la nuit du vendredi 10 mai, les étudiants parisiens,
regroupés au Quartier latin, transformèrent celui-ci en un
camp retranché, dont les barricades de la rue Gay-Lussac devinrent
le symbole. Quand la police intervint, elle le fit avec une sauvagerie
particulière, matraquant les secouristes, arrachant les blessés
des brancards. Les blessés se comptèrent par centaines. La
violence de la répression, décrite en direct, minute par
minute, par les radio-reporters, souleva dans le pays une indignation si
profonde que les syndicats ouvriers décidèrent cette fois
d'appeler à une journée de manifestation et de grève
générale pour le 13 mai, aux côtés de l'UNEF,
en solidarité avec les étudiants, procédant à
un revirement spectaculaire en appelant à manifester avec ceux que,
la veille encore, ils traitaient d'irresponsables faisant le jeu du pouvoir.
Le 13 mai 1968 : une journée qui allait changer la situation politique du pays.
Le 13 mai, la grève paralysa le pays. Durant toute la journée,
étudiants et ouvriers descendirent dans la rue par centaines de
milliers un peu partout en France. Ils furent, d'après la presse,
un million à défiler dans la capitale de la gare de l'Est
à Denfert-Rochereau. On chantait L'Internationale, seuls flottaient
les drapeaux rouges. Ouvriers et étudiants, malgré les réticences
de la CGT, se mêlaient au coude à coude, conspuant De Gaulle
aux cris de : « Dix ans ça suffit ! » L'enthousiasme
était à son comble, les manifestants prenant conscience de
leur force et de leur nombre. On n'avait pas vu une telle mobilisation
depuis 1936.
Il ne s'agissait pas là d'une manifestation et d'une grève
portant sur des revendications précises. Il s'agissait d'une grève
politique. À la solidarité avec le mouvement étudiant
venait s'ajouter le profond mécontentement de la population contre
un pouvoir gaulliste qui monopolisait tout depuis dix ans.
Cette journée du 13 mai servit de détonateur à
la grève générale. Le lendemain dans les entreprises,
il y avait partout « de l'électricité dans l'air »,
comme le disait alors un ouvrier de Renault. Les premières grèves
de la vague qui allait paralyser le pays tout entier éclatèrent
en province dès le 14 mai. Du 13 mai au 25 mai, la grève
allait se généraliser et donner aux événements
de mai 1968 une autre dimension.
Aline Retesse, "Lutte ouvriére", N. 2074, 2 maggio 2008
Nous poursuivrons le récit de ces événements dans les prochains numéros.
A la fête, Lutte Ouvrière présentera sa brochure
« mai-juin 68 : histoire et leçons d'une explosion sociale
» samedi 10 mai à 17 heures. En complément de cette
brochure on trouvera à la Fête une autre brochure, contenant
des fac-similés des journaux Voix Ouvrière et Lutte Ouvrière
parus en mai-juin 1968.